Mon inquiétude s’est révélée fondée. Hier, quand j’ai retrouvé ma femme, elle m’a parlé. J’ai eu l’impression de la voir comme quand j’étais jeune. Elle me regardait droit dans les yeux, nous devions avoir une conversation. J’ai été déstabilisé de me retrouver face à elle car je ne devais pas seulement l’écouter mais l’entendre. Cela fait des décennies que nous ne parlions plus que d’organisation, des enfants, d’économie domestique. Nous n’échangions plus à cœur ouvert, le romantisme avait cédé la place au pragmatisme. Elle a commencé à évoquer ses amies qui avaient décidé de quitter leur mari, maintenant que les enfants étaient indépendants. Au Japon, divorcer sur le tard se fait beaucoup. Les enfants maintiennent les couples pour un semblant d’harmonie, pour le consensus du partage des tâches : papa travaille, maman fait tourner la maison. C’est plus simple, plus rationnel. Et de toute façon, on ne divorce pas. Tant pis si les couples se sont transformés en parents et qu’ils n’ont plus de vie sentimentale. Ma femme et moi ne nous sommes jamais vraiment disputés. On s’est toujours bien entendus mais j’ai été pris d’une angoisse : et si elle voulait divorcer elle aussi ? Je rentrais tous les soirs, je ne l’ai jamais trompée mais il est vrai que je ne la traitais plus comme une femme, nous ne sortions jamais ensemble et je ne lui disais jamais que je l’aime. Quelque part, j’étais absent. Aurait-ce été mon écueil ? Elle a terminé son récit en me disant qu’elle tenait à moi, qu’elle n’avait jamais regretté m’épouser, que malgré mes silences et mes absences, elle était heureuse. Néanmoins, elle se sentait toujours seule. Elle prenait garde à me laisser tout entier à mon travail et à régler les problèmes de nos enfants sans m’ajouter de souci. C’était son choix alors elle ne me reproche rien mais compte bien me retrouver. Elle m’a bien fait comprendre qu’elle n’était plus acquise. J’ai pleuré. De joie. Je l’ai prise dans les bras en lui demandant pardon, que s'il n'était pas trop tard, j'aimerais que nous passions ensemble le temps qu'il nous reste. Un silence s’installe.
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