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Hiroki, épisode 3, tristes émois

Marie Ebersolt

Le 18 juillet 2023

C’était il y a plus de vingt ans, j’étais au collège. J’avais un très bon ami avec qui je passais beaucoup de temps. On était dans la même classe et on se retrouvait après nos activités de club sportif respectives. On marchait sur la digue le long du fleuve qui traversait notre petite ville. On refaisait le monde, on se donnait nos avis sur l’actualité. On était très proches. On se comprenait sans se parler, on terminait nos fins de phrases. Je pensais qu’on était sur la même longueur d’ondes, alors un jour je l’ai regardé intensément et je me suis rapproché de lui. J’allais l’embrasser et il a fait un mouvement de recul, avec un air de dégoût, son regard indigné plongé dans le mien. Il est parti en m’adressant des mots dont je me souviens encore mais que je ne suis toujours pas capable de prononcer. Le sol s’est effondré sous mes pieds, mon cœur brisé en mille morceaux. M’étais-je donc trompé à ce point ? Il est vrai que l’homosexualité est très taboue au Japon. En surface, la tolérance est feinte mais en réalité, les gays et les lesbiennes sont tus. Ils sont exposés dans le showbiz télévisuel mais ils apparaissent comme des êtres à part. Ils contribuent à une certaine forme de normalité mais ils sont un peu les homos de service, même si je les respecte énormément pour s’exposer ainsi et affronter le plus grand public. Ils font rire et certains sont des stars, ils paraissent tels des gages de tolérance mais dans la « vraie vie », un sourire en coin avec un rictus de gêne animent les visages lorsque cette orientation sexuelle est évoquée chez quelqu’un. Les femmes homosexuelles n’apparaissent même pas dans les médias, elles sont encore plus en marge, comme si elles n’existaient pas, comme si c’était inconcevable. Le mariage est réservé aux hétérosexuels et ne parlons même pas de projet d’enfants. De toutes petites minorités militent pour une forme de statut civil, comme le PACS en France, mais elle est loin d’être un débat public. L’homosexualité affirmée et assumée est l’apanage du monde de la nuit. Chacun peut être lui-même, respecté. Mais c’est après le coucher du soleil, loin des projecteurs. J’en suis d’autant plus conscient que je suis fonctionnaire au ministère, terrain d’exemplarité et de comportements lisses. Je suis à l’aise dans ma sexualité mais je suis triste de ne pas me sentir en droit de vivre ouvertement ce qui me constitue. Naoto m’extrait de mes pensées lorsqu’il me demande si je viens souvent randonner.      

Marie Ebersolt

Rédactrice-traductrice