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Le kôji révolutionne la cuisine familiale, et demain peut-être, le bio-carburant

Marie Ebersolt

Le 22 juillet 2023

Connaissez-vous le kôji ? Si vous êtes adepte de la cuisine saine, il est temps que vous soyez informé de cet ingrédient culinaire qui revient à la mode au Japon. Depuis longtemps, il a une place importante dans l’alimentation japonaise. Dans les condiments, tels que la sauce soja ou le miso, et dans le saké, le kôji a une place incontournable dans leur fabrication. Aujourd’hui, plutôt que d’avoir recours aux sauces industrielles pleines de conservateurs et d’exhausteurs de goût, beaucoup de foyers japonais l’ont introduit dans la confection des assaisonnements faits maison. Mais au fait, qu’est-ce que le kôji ?

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Du kôji lyophilisé vendu dans le commerce, résultat du riz fermenté par le kôji-kin et qui servira à réaliser divers produits alimentaires

Le kôji est une céréale fermentée réalisée grâce à l’intervention d’un champignon appelé kôji-kin. Ce dernier transforme l’amidon du riz en sucre et la protéine en acide aminé, c’est pourquoi le kôji a toujours une note sucrée et une sapidité ronde qui donne une profondeur gustative, le fameux « umami », à l’aliment qu’il accompagne. Contrairement à nombre de produits fermentés, tels que le fromage ou l’alcool, sa caractéristique est l’absence d’odeur ou de goût désagréable.
Il y a trois sortes de kôji : celui du riz, le plus utilisé, celui de l’orge et de soja. Ils sont utilisés dans la plupart des assaisonnements et des alcools japonais. En les introduisant dans du riz, du riz gluant, des graines de soja ou de l’orge, il est possible de créer une grande variété de produits alimentaires. Avec du kôji de riz, on peut faire du saké, du vinaigre, du mirin et des légumes marinés; avec du kôji d’orge, on fabrique du miso et du shôchû (que l’on peut fabriquer par ailleurs avec les deux autres), et enfin, avec du kôji de soja, on élabore une grande variété de sauce soja. En dehors de la matière première, seuls l’eau et le sel sont ajoutés dans la composition des ingrédients. Tous ces produits sont certes obtenus par l'intervention de l'homme mais l'essentiel est réalisé par la coopération des trois grandes familles d’agent de fermentation, à savoir les moisissures, les bactéries et les levures. Ces dernières sont des micro-organismes qui agissent sur des substances organiques pour produire des composés organiques. C’est la fermentation. 

Pour obtenir du kôji, il faut une matière première et du kôji-kin, un champignon qui appartient à la famille des moisissures et dont le nom scientifique est Aspergillus. Ce dernier est mis en contact avec une céréale que l’on cherche à fermenter. Il se nourrit de l’amidon et le décompose pour le transformer en sucre qui attire les levures et les bactéries lactiques. Les premières produisent de l’alcool et du gaz carbonique tandis que les secondes produisent des acides lactiques qui répulsent les bactéries indésirables. C’est ainsi qu’on obtient un très bon saké. Le processus de fermentation peut continuer encore : le saké devient du vinaigre lorsque des bactéries acétiques interviennent.

Une élaboration si sophistiquée est la conséquence d’une longue histoire. Comme beaucoup d’aliments fermentés, le saké est apparu grâce au merveilleux phénomène de sérendipité, et c’est bien cette boisson alcoolisée qui a révélé l’existence de la moisissure qui nous intéresse puisqu’elle en constitue l’ingrédient indispensable. La découverte de l’Aspergillus qui ne disait pas encore son nom est évoquée dans un texte officiel du début de l’époque Nara (710-794). On y mentionne que le riz donné en offrande et qui avait commencé à moisir était brassé pour produire du saké. Après la récolte, le riz était étuvé et offert aux dieux pour espérer de futures récoltes abondantes. Évoluant dans un milieu humide à proximité des rizières, il attirait les spores de kôji apparus sur les brins de riz et volant dans l’air. Après quoi, les cultivateurs auraient apprécié le goût et l’effet euphorique qu’apportait le riz transformé en saké. Aujourd’hui encore, le saké est présenté en offrande lors des rituels shintoïstes.
Plus concrètement, les premiers spécialistes sont apparus autour du Xème siècle, lorsqu’ils commencèrent à cultiver les kôji-kin. Ces artisans sont appelés kôji-za ou moyashi-ya et occupaient un métier à part entière, celle de cultiver des tane-kôji que l’on saupoudre sur une céréale étuvée pour activer le processus de fermentation. Plusieurs boutiques ont vu le jour à Kyoto durant l’ère Muromachi (1336-1573) mais suite à un violent affrontement entre ces cultivateurs de tous petits champignons et de riches fabricants de saké, la profession a été bannie pour être intégrée dans celle de la brasserie. En effet, les brasseurs ont intégré le savoir-faire de leurs fournisseurs pour rationaliser leur production. Aujourd’hui, seule une dizaine de moyashi-ya existe au Japon, dont une qui est tricentenaire et une autre qui a survécu au combat cité plus haut. On peut noter une petite économie locale de véritables « champignons domestiqués ».
Techniquement, ces tane-kôji s’obtiennent à partir de riz étuvé mélangé à de la cendre de bois pour créer un environnement alcalin favorable au développement de l’Aspergillus et répulsif pour ses autres congénères. Ces dernières décennies, les connaissances ont été approfondies et les méthodes sont moins rudimentaires. Ainsi, de nombreuses espèces d’Aspergillus sont sélectionnées et développées grâce à la technologie.  

Après l’alimentation biologique, le « fait-maison » a le vent en poupe. Comme de nombreux Japonais, ne voulez-vous pas vous initier à la fabrication d’un assaisonnement à base de kôji ? Il n’y a rien de plus simple : mélanger du kôji lyophilisé que vous trouverez dans une épicerie japonaise ou sur des sites de commerce en ligne, du sel et de l’eau. Si vous avez une yaourtière qui monte jusqu’à soixante degrés, vous aurez votre shio-kôji en une nuit, sinon, vous laissez fermenter pendant une semaine en remuant le mélange tous les jours. Vous pouvez ajouter un aromate de votre choix et vous serez en mesure d’assaisonner ou mariner vos aliments de façon originale et savoureuse. Exceptionnellement, je vous partage quelques-unes de mes recettes. Ne vous inquiétez pas : des recherches ont confirmé que le kôji ne produit pas de toxine nocive pour le corps humain. 

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Du shio-kôji maison au cinquième jour de fermentation

Tout d’abord, il est très important de stériliser votre contenant avant de réaliser votre recette au kôji. Je vous conseille d’utiliser de l’alcool ménager vaporisé sur un torchon propre.
La recette de base est la suivante : 100 grammes de kôji lyophilisé, 165 ml d’eau filtrée, 35 grammes de sel. Après fermentation, vous obtiendrez votre shio-kôji maison. En ajoutant quelques feuilles de romarin et une gousse d’ail dans la mixture de base avant la fermentation, vous aurez du kôji au romarin !   
Vous êtes plutôt sucré que salé ? Pourquoi ne pas vous concocter une boisson rafraîchissante l’été et énergisante l’hiver ? Dans une bouteille d’une contenance d’au moins 350 ml, vous mélangez 80 grammes de kôji de riz et 220 ml d’eau filtrée à 70 degrés (ou 150 ml d’eau bouillante et 70 ml d’eau filtrée). Vous secouez la bouteille durant dix secondes et laissez fermenter à température ambiante pendant sept heures en ayant à nouveau secoué à mi-parcours. Vous pouvez boire cet ama-zaké chaud ou froid qui se conserve pendant dix jours au réfrigérateur.   

Par ailleurs, le kôji semble polyvalent. Il est utilisé dans d’autres domaines que la cuisine. Revenons d’abord au phénomène chimique. Lorsque les spores des kôji-kin se fixent sur son hôte, ils sporulent et répandent du mycélium en synthétisant des enzymes qui décomposent le substrat : les protéines sont transformées en acide aminé, les amidons deviennent des sucres et les graisses, des acides gras. Aujourd’hui, ces enzymes sont isolées industriellement pour produire des biens de consommation tels que des médicaments pour la digestion, des lessives ou du savon. Des chercheurs dans le domaine du développement durable s’intéressent également au kôji-kin pour décomposer des déchets alimentaires, le fumier ou le bois issu des coupes d’éclaircies pour les transformer en biocarburant car les matières organiques obtenues sont autant de sources d’énergie.    

Marie Ebersolt

Rédactrice-traductrice