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Le jardin japonais, l'univers en miniature

Marie Ebersolt

Le 30 mai 2023

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Les jardins d’agrément semblent refléter une représentation culturelle de la notion d’espace et d’une esthétique de la nature. Les savoirs botaniques et les techniques paysagères permettent une mise en scène d’un univers végétal artificialisé. Les lois de composition diffèrent d’un pays à l’autre, je vous propose aujourd’hui de découvrir celles du Japon. 

Le jardin japonais est affectionné et respecté pour ses symboles spirituels et son calme esthétique. Les habitants de l’archipel s’y reposent au détour d’une visite au temple, y déambulent après un repas traditionnel ou l’admirent le temps d’un recueillement. Présents dans divers lieux, aussi bien privés que publics, il se visite dans les temples, les châteaux, les parcs publics et se laisse regarder depuis des auberges traditionnels ou des demeures privées. Cet attachement s’explique peut-être par la longue histoire qu’a traversée cet univers végétal façonné par l’homme.  

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 Les premières ébauches de jardin apparaissent dans l’Antiquité, durant la période Jomon vers -300 ans. Les graviers et le sable sont utilisés afin de délimiter les espaces sacrés des terres agricoles. Les éléments naturels tels que les arbres, les galets ou les chutes d’eau sont empruntés pour des cérémonies religieuses, tandis que les rochers abritent les kami, les divinités de la nature. C’est entre le VIème et le VIIIème siècles que les premiers véritables jardins apparaissent. Le plus ancien attesté mais qui n’existe plus aujourd’hui remonte à 612. Un lac artificiel était aménagé autour d’une île sur laquelle se dresse la représentation du Mont Meru, une montagne mythique considérée comme l’axe du monde dans différentes mythologies orientales, dont celle du bouddhisme. Un pont en permet l’accès. 

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Le jardin du temple Joruri-ji se réfère au premier style japonais

Le premier style japonais accompagne l’architecture des résidences impériales de l’ère Heian entre 794 et 1185. Fortement marqué par la géomancie chinoise (feng-shui), les points cardinaux déterminent l’emplacement des bâtiments et des espaces qui les entourent. Au sud de la bâtisse principale se trouve une cour de sable puis une mare autour de laquelle s’organisent les composants du jardin : une île symbolisant le monde des immortels est dressée au centre du plan d’eau et un pont la relie à la terre.  Les jardins de cette époque sont marqués par l’asymétrie, le raffinement, la mélancolie liée à l’impermanence, et le concept esthétique et spirituel japonais de Mono no Aware définissant la sensibilité pour l’éphémère et l’empathie envers les choses.  

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Jardin zen du temple Ryoan-ji

La période qui suit est marquée par le développement du bouddhisme zen. Les premiers jardins zen sont conçus afin de développer une atmosphère propice au calme et à la méditation. Ainsi, les plantes à fleurs sont remplacées par des arbres persistants et l’ambition paysagère se déplace. Le symbolisme se substitue au mimétisme, l’enjeu étant de représenter l’univers entier dans le jardin grâce à l’abstraction et à la métaphore. Ce sont d’abord les grands prêtres qui dessinent les jardins mais peu à peu, le métier se professionnalise. Aidés par les moines plus égalitaires que le reste de la société, les jardiniers acquièrent une véritable reconnaissance malgré leur appartenance à une basse caste. Par ailleurs, l’ascendance progressive de la noblesse militaire oriente un style opposé à celui des moines. Les jardins sont considérés comme des objets de contemplation et sont conçus pour leur attrait visuel, tels des tableaux. Le lieu méditatif se transforme ainsi en terrarium à ciel ouvert. 

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Jardin d'une maison de thé

Par la suite, le développement de la cérémonie du thé influence largement l’esthétique des jardins, lesquels sont considérés comme la transition du monde extérieur à un espace clos dédié à l’introspection. En effet, le mouvement wabi-sabi, qui initie une nouvelle codification de la cérémonie du thé, rejette les artifices et met en valeur la simplicité avec le concept de « raffinement sobre » (sabi). Le jardin est dès lors considéré comme l’environnement idéal pour la dimension méditative de la cérémonie. 

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Jardin du Ginkaku-ji

Les premiers jardins de promenade sont construits pendant l’époque Kamakura (1185-1333) et atteignent leur apogée à l’ère Edo où les seigneurs féodaux et l’ensemble des marchands et des artisans prospèrent. Les plus aisés en font construire sur leur domaine ou leur jardin et flânent à travers les reproductions de panoramas de Chine ou du Japon. De petits jardins, à l’image de ceux de la cérémonie du thé, se développent également dans les maisons de ville.
Enfin, depuis l’ère Meiji (1868-1912) jusqu’aujourd’hui, les motifs occidentaux sont intégrés. Les formes japonaises et occidentales coexistent ; des pelouses dégagées et une grande variété de plantes parsèment les parcelles végétales de différents lieux: les hôtels, les stations thermales ou encore les centres commerciaux. Les jardins publics ne sont pas en reste, avec le hanami qui s’organise tous les ans au printemps à l’occasion de pique-nique aux pieds des cerisiers.   

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Le célèbre jardin de mousse du temple Saihou-ji

Pour comprendre le jardin japonais, il faut aussi connaître les moyens employés dans le but de représenter la nature dans une superficie limitée.
Tout d’abord, l’architecture des jardins s’est adaptée à la géographie japonaise. Le climat tempéré et humide a façonné les styles, sans cesse marqués par les quatre saisons bien distinctes, et a offert une variété florale qui a enrichi les compositions. Les massifs volcaniques parcourus d’étroites vallées et les côtes maritimes sinueuses ont favorisé l’harmonie des jardins au contour du terrain et une esthétique de l’asymétrie. Les paysages naturels sont autant de motifs.
Par ailleurs, trois grands principes régissent la composition scénique: la miniaturisation de l’univers, le symbolisme et la capture de paysages. Le premier sert à représenter la nature dans l’espace dédié, le deuxième rappelle la fonction religieuse et le dernier permet d’insérer le décor dans l'environnement naturel en floutant la frontière.
Enfin, selon des règles esthétiques qui gouvernent leur agencement, plusieurs éléments mettent en scène les motifs inspirés de paysages naturels. Ils sont organisés autour du lieu depuis lequel le jardin est destiné à être vu. Des rochers, des arbres, de l’eau, du sable et des graviers reproduisent les montagnes, les forêts, les rivières et les mers. Des chemins, des bordures et des décors tels que des lanternes, des pagodes, des statues, des ponts et des pavillons sont disposés également pour donner plus de relief. Des animaux, tels que les carpes koï (qui servent aussi à limiter la végétation aquatique), du gibier d’eau, des tortues et des grenouilles viennent parfaire l’univers du vivant. 
Ainsi, le jardin japonais propose un monde naturel idéalisé en limitant les artifices.

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Marie Ebersolt

Rédactrice-traductrice