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Le Yùzen, l’art de peindre sur un kimono

Marie Ebersolt

Le 17 mars 2023

Le Yùzen, connu pour les kimonos, consiste à peindre sur du textile. Depuis la teinture du tissu, en passant par les nombreuses techniques d’apprêt, cet artisanat demande une dextérité et une sensibilité artistique qui s’épanouissent à travers les dessins réalisés au pinceau et les finitions travaillées par dépôt de matières tels que des feuilles d’or ou des broderies. Depuis 1976, le yūzen est reconnu et protégé par le gouvernement japonais au titre d'artisanat traditionnel.

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Éventail réalisé par Kana Mizuno

Fondé par le peintre sur éventail Yùzen Miyazaki, son origine remonte à l’ère Edo, au XVIIème siècle. Ses accessoires étant très prisés, il a décidé de répondre à une demande particulière : celle de peindre sur un kimono. Le succès fut immédiat et le style Yùzen, avec sa variété de couleurs et les courbes représentant végétaux, animaux et paysages s’est vite répandu. Lorsqu’il s’est déplacé au domaine féodal de Kaga pour une commande, une esthétique locale s’est à son tour développée. Aujourd’hui, il existe trois courants ; ceux de Kyoto, Kaga et Edo, qui se distinguent par leur élégance caractéristique.
Les techniques employées pour préparer et parfaire les étapes du dessin sont attribuées à l’artiste mais aucun document ne l’atteste. Miyazaki a été le précurseur de cet artisanat mais il n’aurait qu’initier un corpus esthétique dans les motifs de kimono. Par la suite, afin d’améliorer les détails, les artisans ont introduit la cire pour délimiter les zones de peinture permettant d’éviter les bavures d’encre et de rendre les motifs plus nets. A l’ère Meiji, Jisuke Hiroshi a introduit l’impression à la planche qui a eu pour conséquence de rationnaliser le processus de fabrication. En usant d’apprêts et de teintures chimiques, plusieurs étapes sont supprimées et la palette de couleur s’est multipliée. Ainsi, de nombreuses manufactures de teinture sur kimono sont apparues et  le style Yùzen s’est démocratisé. Aujourd’hui, les pochoirs appartiennent aux techniques de cet artisanat au même titre que le dessin au pinceau.

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Le processus traditionnel du Yùzen comprend de nombreuses étapes. Il commence par l’esquisse sur papier, recopiée sur le tissu à l’aide d’une encre de composition naturelle qui s’efface au contact de l’eau. Les contours des motifs sont ensuite délimités par la pose d’une pâte à base de riz ou d’hévéa à l’aide d’une poche à douille de très petite taille afin d’empêcher le mélange des couleurs. Cette étape de l’Itome-nori est emblématique du Yùzen. Elle fait apparaître la couleur de fond à travers les pourtours du dessin final. Quant à la teinture générale du tissu, elle est appliquée par brossage, avant ou après le dessin, en fonction de l’ingrédient utilisé dans la pâte de l’itome-nori. Pour fixer la préparation et éviter les bavures de couleurs, un mélange de bouillon de soja et d’empois d’algue est étalé au verso du tissu. Cette étape précède également la pose de la couleur de fond. S’ensuit la sélection puis la préparation des couleurs. Par la suite, la peinture est réalisée à l’intérieur des contours, à l’aide de pinceaux plus ou moins fins, aussi nombreux que la variété des couleurs et dont certains sont  biseautés pour apporter des nuances. Le textile est par la suite cuit à la vapeur afin de fixer les couleurs des motifs. Si la teinture de fond reste à réaliser, les dessins sont au préalable recouverts d’une mixture de sel, de riz gluant et de son de riz puis de sciure de cyprès pour les protéger. Le tissu est cuit à la vapeur avant que les apprêts et les excès de teinture ne soient lavés dans des rivières artificielles. Il est enfin repassé et éventuellement décoré de feuilles ou de broderies d’or. Le kimono n’est pas encore cousu que plusieurs artisans qualifiés ont dû intervenir.

Qu’en est-il du Yùzen aujourd’hui ? Comme dans nombre d’artisanats traditionnels, la relève peine à être assurée. L’instabilité des revenus et la situation précaire du statut n’attirent guère la jeune génération. Comment imaginer que la peinture réalisée sur un textile de kimono, vêtement porté qu’en de rares occasions festives ou par une petite tranche de la population japonaise au quotidien, assure une stabilité économique ? Les jeunes artisans tentent vaille que vaille de perpétuer le savoir-faire de leurs ancêtres en redoublant d’imagination. 

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L'étape du dessin réalisé par Kana Mizuno

Kana Mizuno, jeune artisane Yùzen d’une vingtaine d’année, accompagne son travail d’initiatives visant la promotion de son art. Sur les réseaux sociaux, elle publie ses activités et sensibilise le grand public aux enjeux de la transmission des cultures traditionnelles. Pour cela, elle montre son atelier, révèle les étapes de fabrication et élargit la gamme de produits. Elle « souhaite qu’un peu de tradition japonaise accompagne le quotidien de [ses] compatriotes ». Elle peint sur des porte-cartes ou des éventails et organise des ateliers d’initiation. Affranchie d’une quelconque appartenance à un syndicat d’artisans, elle prend la liberté de création et tente de casser le carcan des traditions. Tout en respectant les techniques tricentenaires, elle incorpore dans ses œuvres sa sensibilité artistique et souhaite développer son propre courant « Mizuno ». Elle s’inspire d’œuvres d’art de tous horizons et n’hésite pas à intégrer une certaine modernité dans ses ouvrages pour dépoussiérer son métier. Sur son site en ligne, elle va jusqu’à présenter les artisans de sa discipline qui, pourtant,  sont des concurrents. « Je ne suis pas la seule dans ce métier, beaucoup de jeunes exercent ». Selon elle, l’Etat japonais devrait se préoccuper de la situation des artisans, connus pour leur humble discrétion, et s’engager dans des mesures qui protégeraient ses condisciples. 

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Atelier de travail

Il est difficile de savoir combien d’artisans Yùzen existent aujourd’hui. Les seules statistiques accessibles sont celles des syndicats, au nombre de trois pour la seule région de Kyoto, et celles-ci ne prennent en compte que les adhérents. Kana Mizuno nous fait réaliser qu’être artisan au XXIème siècle est également un acte militant pour défendre une écologie matérielle et la perpétuation des techniques ancestrales.   

Venez découvrir son travail et vous procurer ses créations sur son compte Instagram :

https://www.instagram.com/mizuno_yuzen/

Marie Ebersolt

Rédactrice-traductrice