Japan Stories Logo

La laque et le laque

Marie Ebersolt

Le 24 juin 2023

photo

Ensemble de malles en vannerie de bambou laqué

La laque est extraite du laquier. Cette résine a pour fonction de vernir certains objets ou de faire adhérer des éléments entre eux. Outre son aspect brillant et coloré qui ajoute une valeur esthétique, ses caractères imperméable et imputrescible, ainsi que sa résistance à l’usage et sa longévité en font un matériau de qualité qui a fortement marqué l’artisanat asiatique, et plus tard, européen. Les laques industrielles, encore aujourd’hui, ne parviennent pas à remplir simultanément toutes ces propriétés. Quant au laque, il signifie l’ensemble des objets enduits de son homonyme féminin. Il concerne un large éventail de produits artisanaux, allant de la vaisselle à du mobilier, mais également les estampes, la vannerie ou la sculpture.

L’usage de la laque apparaît au Japon durant la longue période Jômon allant de 13000 à 10 ans avant notre ère. Plusieurs sites archéologiques témoignent de la qualité de ce vernis car de nombreux vases, bols et aiguières en bois d’une extrême finesse ont été retrouvés dans des zones humides. La plus ancienne pièce au monde a été découverte sur l’île de Hokkaido et remonterait à 9000 ans ; il s’agit d’un mobilier funéraire. Hormis des armes, peu d’objets ont survécu à la période suivante (Yayoï -10 à 300 ans), mais l’ère Kofun (350-700 ans) qui la suit est particulièrement prolifique avec des vestiges en cuir ou en métal laqués ainsi que des cercueils. La démocratisation de la laque démarre pendant la période Nara au VIIIème siècle. La vaisselle en laque, jusqu’alors réservée à la noblesse, se répand grâce à une dilution de la matière première. De nombreuses estampes, la technique de laque sèche ainsi que l’art du maki-e, spécifique au Japon, apparaîssent également. Pourtant, il est communément admis que la laque a d’abord été utilisée en tant qu’adhésif. De nombreuses flèches antiques dont le fer était scellé à la tige avec de la laque ont été retrouvées. Beaucoup plus tard, à l’ère Édo, le kintsugi est la technique de restauration à base de laque mélangée à de la poudre d’or.   

photo

De nombreux artistes en estampes ont utilisé la laque pour apporter du relief et un caractère sophistiqué à leurs peintures. Au fil des ans, les techniques ont suffisamment évolué pour varier les couleurs. Au noir et au rouge traditionnels, différentes tonalités de marron, le vermillon, l’ocre rouge, le jaune et le vert viennent compléter la palette, grâce aux produits naturels incorporés, tels que du fer ou du sulfure.
La laque a un effet répulsif et résiste à la moisissure. C’est pourquoi les familles privilégiées de l’aristocratie et de la noblesse militaire possédaient du mobilier laqué. Il est par ailleurs imperméable et supporte bien le contact du sel, de l’alcool, des corps gras et des aliments alcalins. Ainsi, la variété de la vaisselle laquée est immense mais les plus fameuses sont celles de Kyoto et de Wajima.

Le laque de Kyoto
En contact permanent avec les nobles et les commerçants, les artisans de Kyoto n’ont cessé de raffiner leur style et de perfectionner leur savoir-faire. Partant d’une base en bois fin, une membrane textile obtenue par un mélange de laque, de fécule et de lin est posée couche après couche pour solidifier le contenant. Par la suite, une mixture de poudre d’ocre et de laque vient former la silhouette. Enfin, des couches de laque viennent parfaire l’ouvrage. Ces fabrications sont davantage considérées comme des œuvres d’art, donnant lieu à des signes ostentatoires de richesse en tant que présents lors des rencontres d’affaires ou de courtoisie. Elle sera classée en 1976 en tant que produit artisanal traditionnel par le ministère des économies et de l’industrie japonais.
Le laque de Wajima
Originaire de la préfecture de Ishikawa, il est issu aujourd’hui de la tradition de Tokyo. Le processus demeure le même mais se distingue par son histoire ancienne remontant à plus de 6000 ans et par l’usage de la colle de riz qui rationnalise la production. Il n’en demeure pas moins qu’il est lui aussi distingué par le même label que le laque de Kyoto à condition de remplir un cahier des charges très précis.
Parmi les points communs de ces deux laques, une technique spécifiquement japonaise, le maki-e, apporte une forte valeur esthétique. La simple vaisselle ou le petit mobilier devient alors un objet unique et artistique.

photo

Ici, un bol en maki-e très sobre

Le maki-e
Cet art remonte à l’époque Heian, entre le IXème et le XIIème siècle et acquiert sa notoriété à l’ère Édo. Il consiste à apposer sur une âme en bois, préalablement laquée de plusieurs épaisseurs, de la poudre d’or et de la laque séchée sur une couche de laque humide. Les motifs peuvent être nets, nuancés ou dégradés. L’ensemble est recouvert de laque claire. Différentes techniques permettent d’obtenir une surface plane ou en relief, par ponçage des dessins ou par l’ajout de laque épaissie par de la poudre de bois ou de charbon. Les dessins sont réalisés au pinceau plus ou moins large avec de la laque mélangée à de l’or, de l’argent, du platine, du laiton, du cuivre, du plomb, de l’aluminium, de l’étain, ou de leur alliage, réduits en poudre. La variété des textures ainsi obtenues participent à la beauté et à la finesse des réalisations. En outre, avant que la dernière couche de laque ne sèche, des éléments de nacre, d’ivoire ou de corail peuvent être incrustés. L’artiste peut également sculpter par avance de petits éléments en laque et compléter le tableau. Ce savoir-faire est conjointement utilisé avec d’autres techniques, notamment avec le laque sculpté.

photo

Plateau en laque sculpté

Le laque sculpté
Il naît en Chine au VIIème siècle et s’appelle guri en japonais. Il consiste à sculpter un ouvrage en bois enduit de plusieurs épaisseurs de laque, pouvant aller jusqu’à une vingtaine. Des arabesques et des motifs en relief ornent la surface et de différentes couleurs étagées, résultant des couches de laques de couleurs variées, apparaissent sur des objets ainsi réalisés.
Les sculptures en bois laqué et le laque sec
Ces deux techniques sont emblématiques de l’art bouddhique et ont permis aux sculptures de perdurer à travers les siècles. Certaines sont en bois et recouvertes de plusieurs couches de laque. D’autres sont issues d’une technique plus sophistiquée, comme celles en laque sèche. Dans un premier temps, de l’argile modelée recouvre une armature en bois. Puis l’ensemble est recouvert de superposition de couches de chanvre imbibé de laque, le processus étant ponctué par un temps de séchage systématique. Par la suite, l’argile est retiré et l’ensemble restant constitué par la coque en chanvre laqué et l’ossature en bois est recousu puis recouvert d’une dernière couche de laque et d’argile. Des finitions sont réalisées par des fils de fer entourés de cordelettes de chanvre et modelés grâce à un mélange de sciure de bois et de laque pour apporter des détails à la sculpture.  

photo

Détails du guri

Ainsi, la qualité esthétique de la laque a donné naissance à des œuvres d’art et à des produits artisanaux et ses propriétés durables leur ont permis de survivre au temps. Son ancienneté est le témoignage de savoir-faire variés et sans cesse renouvelés, ainsi que de son succès intarissable. La valeur associée de la beauté et de la préservation a séduit les dignitaires et les commerçants européens qui ont commencé à importer des ouvrages au XVIème siècle. La laque est transmise aujourd’hui en Occident mais nous n’en parlerons pas dans ce journal…    

Je vous invite à lire le très bel article de Shiori Kishi concernant le kintsugi ici, ainsi que de consulter de très belles photos disponibles sur le web concernant le maki-e et les sculpture en laque sèche!

Marie Ebersolt

Rédactrice-traductrice