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Bonjour les Français, des Japonais vous parlent!

Marie Ebersolt

Le 17 avril 2023

Un pays, c’est naturellement une langue, une culture, des arts et des mentalités. Mais il abrite également un peuple, des hommes et des femmes ordinaires, animés par le quotidien et incarnant une civilisation. C’est pourquoi il est important de s’intéresser aux anonymes qui à la fois reflètent et portent une culture, consomment les arts en les faisant vivre.

Je vous propose dans cette rubrique de suivre la vie discrète de Maya, Tadao, Yosuke, Hiroki, Minami et Tomoka. Inspirés de personnes réelles, plongez dans leurs récits de vie et découvrez les habitudes et les péripéties qui jalonnent le quotidien de ces Japonais.

Je m’appelle Maya, j’ai trente-sept ans.

Je suis directrice de création dans une grande agence de publicité japonaise. Je gère une équipe de dix collaborateurs. Je travaille beaucoup mais je m’assure toujours de terminer le travail avant l’heure du dîner. J’aime mon métier mais je considère l’exercer pour subvenir à mes besoins. Je ne vis pas pour le travail, mais l’inverse ! J’ai un compagnon mais nous avons décidé de ne pas nous marier ni d’avoir d’enfants. Nous souhaitons vivre en liberté et profiter de la vie. Mes parents me disent que on devrait se marier, que « c’est la responsabilité d’un homme » et le « bonheur d’une femme » mais je n’ai besoin de personne pour me nourrir ou m’habiller, je tiens trop à mon indépendance. Mon chéri est ravi de son côté, il est conscient que je désire sincèrement une vie à ses côtés, sans compter sur son portefeuille. La pression sociale est forte au Japon, surtout lorsqu’on est une femme de mon âge. Le mariage et les enfants sont non seulement indissociables mais ils le sont aussi avec la condition féminine. Pendant un temps j’ai voulu me marier, alors que je n’avais pas de fiancé. Pendant un temps j’ai voulu des enfants, alors que je n’avais pas de petit ami. Maintenant je trouve ça tellement absurde... Alors j’ai fini par me demander pourquoi je souhaitais tout cela. Lorsque j’en ai eu assez d’entendre mes congénères se plaindre qu’elles ne trouvaient personne de « convenable », j’ai compris qu’on était piégées dans un carcan et qu’il suffisait de savoir ce que l’on voulait vraiment, maintenant. À ce moment-là, j’étais sur un projet professionnel qui me tenait à cœur et je commençais à fréquenter mon compagnon actuel. Je voulais seulement faire aboutir mes dossiers en cours et m’épanouir dans une relation naissante. Je me suis aperçue que ma vie me convenait, que j’étais heureuse et que je n’avais besoin de rien d’autre. Plutôt que de courir après des chimères, j’ai décidé de me délecter d’un bon restaurant et de m’émerveiller des paysages qui s’offraient à moi au cours de mes voyages. Aujourd'hui, je suis très heureuse dans ma vie.   

Si vous voulez connaître un peu mieux la vie de Maya, c'est par ici!

Je m’appelle Tadao, j’ai cinquante-huit ans.
Je suis membre du directoire d’une grande société financière. J’ai travaillé dur pour arriver là où j’en suis. J’ai suivi le parcours classique de l’élite japonaise, en passant par le département le plus prisé de l’université la plus prestigieuse. J’ai beaucoup étudié, sans me poser de question sur le comment du pourquoi. Puis j’ai passé différents examens d’entrée dans les plus grandes compagnies japonaises. J’ai été embauché dans l’entreprise pour laquelle je n’ai jamais compté les heures. Certains collègues n’ont pas tenu ; broyés par la cadence infernale, ils sont tombés malades ou morts d’usure. J’ai fait le tour du monde en m’expatriant loin de ma famille. J’ai deux enfants que je n’ai pas vu grandir. Ils ont toujours vécu à Tokyo pour suivre leur scolarité et s’éviter les chocs culturels que la vie à l’étranger leur aurait occasionnés. Le travail, je n’avais que cela dans mon esprit et je ne me suis jamais demandé si je l’aimais. Il fallait entretenir la famille, lui offrir le meilleur et gravir les échelons. Je sais que les reconversions sont à la mode aujourd’hui, mais personnellement, je suis de la vielle école, je suis toujours resté dans la même compagnie. Sans ma femme, je n’aurai pas réussi. Elle m’a toujours soutenue, elle a élevé les enfants, fait tourner la maison, impeccablement. Je lui suis reconnaissant et je compte bien la remercier quand j’aurai pris ma retraite dans deux ans, comme la quasi-totalité des Japonais le font à soixante ans. Nous voyagerons dans les pays qu’elle souhaite visiter, nous irons au restaurant aussi souvent qu’elle veut, nous avons aussi le projet d’acheter une maison secondaire. Ma vie est plus calme maintenant, je suis respecté. Je suis satisfait de mon parcours et je me réjouis de démarrer une nouvelle vie. 
Si, à tout hasard, vous voulez me connaître un peu mieux, vous pouvez vous rendre sur cette page.

Je m’appelle Yosuke, j’ai vingt-sept ans.
Je suis ouvrier spécialisé dans une manufacture de vis. Je suis fier de mon métier car ce matériel est utilisé dans de très nombreux secteurs d’activité du monde entier. J’aime l’odeur du métal, la méticulosité et la concentration que requiert mon travail. En fonction de l’utilisation, je sais quel matériau et quelle forme de filetage sont appropriés. Je pense être bon dans le domaine car j’ai commencé tôt. Je me suis spécialisé après le collège car je savais ce que je voulais faire et je souhaitais travailler dès que possible. J’ai eu la chance d’être formé par des maîtres compétents et patients. Je m’entends bien avec mes collègues. On parle de tout et de rien mais aussi de nos vies respectives, on est assez proches. C’est une petite fabrique alors c’est comme une seconde famille. J’aimerais voyager et m’offrir des vêtements de marque mais pour l’instant, j’économise pour acheter  un petit pavillon dans quelques années. Comme beaucoup de Japonais, mon rêve est d’avoir une maison avec un jardin. J’ai déjà constitué un petit pécule mais je sais que je vais devoir déménager en périphérie urbaine car les centres-villes sont chers. Ma femme est infirmière. C’est un travail difficile, d’autant qu’elle travaille de nuit pour s’occuper de nos enfants pendant la journée. Le système de garde est saturé, c’est très compliqué d’avoir une place en crèche et il n’y a pas d’aide pour employer quelqu’un en tant que particulier. Heureusement, j’ai pu aménager mon temps de travail grâce à mon patron conciliant et je m’occupe des enfants le matin pendant que ma femme dort. De plus en plus d’hommes s’investissent dans les tâches domestiques et l’éducation. Certains sont fiers, mais pour ma part, je trouve cela tout à fait normal. Après tout, on fait des enfants à deux et on occupe un logement ensemble, non ?

Je m’appelle Hiroki, j’ai quarante ans.
Je suis haut fonctionnaire au ministère des Affaires intérieures et des Communications. J’ai un grand sens du devoir et je suis très impliqué dans mon travail. Le Japon traverse des difficultés mais j’ose espérer que je contribue à le redresser. J’habite dans un appartement de fonction près du ministère pour pouvoir me rendre au bureau dès que l’on m’appelle pour une urgence. Je n’ai pas beaucoup de temps libre mais je m’en impose pour me cultiver et prendre l’air. Je lis beaucoup, des romans comme des essais, et quand je prends des congés, j’aime aller faire du camping dans la nature. Je suis célibataire sans enfant car je n’ai pas pris le temps de m’impliquer dans une relation. Je me sens parfois en décalage avec les hommes de ma génération mais je ne souhaite imposer à personne une vie où règne mon absence. Je fais attention à ne pas remettre en question les affaires d’Etat mais le métier n’est pas toujours facile. Je dois parfois proposer des plans de financement pour un projet politique auquel je ne crois pas personnellement. J’essaie de faire la part des choses et j’exécute sans convictions mais j’investis toutes mes compétences. Je fais attention à ma santé car je dîne souvent au restaurant, par facilité. J’essaie de me mettre à la cuisine pour manger plus sain mais j’ai le vilain défaut d’être maladroit. Je dois avouer que je suis aussi distrait, j’ai du mal à me défaire des dossiers en cours, j’y pense sans cesse. Or en cuisine, il faut être réactif et ordonné. Ce sont deux qualités dont je dispose. Il ne manquerait plus que je puisse un peu oublier mon travail... C’est pour cela aussi que je fais des randonnées, pour me vider la tête et prendre l’air de la montagne. D’ailleurs, je pars demain pour gravir le Mont Fuji. Je vous en parle dès que je reviens. Pour l’instant, je vais tâcher de lire quelques pages du rapport qui vient de m’être envoyé avant de passer une nuit qui, je l’espère, sera réparatrice.  

Je m’appelle Minami, j’ai quarante-six ans.
Je suis femme au foyer et je travaille à temps partiel dans un supermarché. Mes enfants jumeaux sont grands, enfin presque. Ils sont au lycée alors j’essaie de ne pas trop être sur leur dos. J’ai aimé m’occuper d’eux, ils étaient si mignons à me réclamer sans cesse. Maintenant, on s’entend bien et je les trouve équilibrés. J’assume pleinement m’être investie pour ma famille. C’était parfois difficile de ne pas avoir de temps pour soi, de m’occuper de tout dans la maison, de passer en dernière après chaque tâche que j’accomplissais. Être mère au foyer n’est pas rémunérateur mais je vous assure que c’est un métier ! Parfois je me dis que j’aurais pu trouver ma propre voie avec mon diplôme de littérature anglaise. Seulement, la vie est imprévisible. J’ai connu mon mari lors d’une rencontre arrangée. Détrompez-vous, on peut refuser de donner suite à ce type de présentation mais en ce qui nous concerne, cela a été le coup de foudre ! Nous nous sommes fréquentés, fiancés puis mariés. J’étais tellement heureuse que je ne me suis pas laissé le temps d’envisager une carrière. De toute façon, il est socialement assez évident pour une femme japonaise de ne pas travailler après le mariage alors je ne me suis pas torturée pour ce dilemme qui fait beaucoup réfléchir les jeunes femmes d’aujourd’hui. À savoir, choisir entre la famille et le travail, ou pas. Malgré les hauts et les bas et de nombreux états d’âme qui m’ont traversée, je suis heureuse d’avoir pu accompagner mes enfants et offrir un cocon douillet à mon mari. Maintenant, avec les enfants qui ne demandent plus autant d’attention qu’avant, je peux me dégager du temps libre. Je gagne mon argent et c’est agréable d’en disposer à sa guise. Je n’ai pas encore le réflexe de m’acheter des choses à moi, j’ai plutôt tendance à inviter ma famille au restaurant ou à lui offrir des cadeaux. Il serait temps que je parte en week-end seule ou avec des copines…

Je m’appelle Tomoka, j’ai quatorze ans.

Je suis en troisième année de collège et j’étudie beaucoup. Je ne sais pas comment ça se passe en France mais au Japon, à moins d’être scolarisé dans une école privée qui intègre tous les cycles d’enseignements, on doit passer des concours d’entrée. Pour entrer à l’école primaire, au collège, au lycée, à l’université, et parfois même pour intégrer une école maternelle soi-disant prestigieuse ! Les parents sont nerveux pendant cette période et l’ambiance est lourde à la maison. C’est tellement la pression qu’un certain nombre de jeunes finissent dans l’absentéisme, voire à ne plus sortir de leur chambre. Parfois ça va même plus loin avec des violences exercées envers les parents. Je ne suis pas concernée par ces cas extrêmes mais je comprends le cheminement de leur pensée, leur état d’esprit. En tout cas, je tiens le coup car j’ai appris à prendre du recul. Si on se laisse impressionner, personne ne peut supporter une vie de jeunes Japonais. Après les cours à l’école, il faut s’investir dans une activité extrascolaire et terminer la journée par des heures d’étude dans une école privée qui prépare au concours. Pendant les vacances, on est très pris par le club auquel on appartient. Il y a toujours des résidences pour renforcer l’esprit de groupe et s’entraîner, encore et encore. J’ai fini par comprendre que certes l’école instruit mais elle prépare également au fonctionnement de la société des adultes. Les hiérarchies sociales, la concurrence et les rapports de force transpirent chez les écoliers, les collégiens et lycéens. Je vous parlerai de l’ambiance qui règne entre les élèves, de mes déceptions et de mes espoirs. Ça me fera du bien de prendre du temps pour mettre en mots ce que je ressens vraiment et que je ne peux confier à personne. Vous êtes extérieurs à tout cela, je sais que vous ne me jugerez pas. 

Marie Ebersolt

Rédactrice-traductrice